La farine " bruzarine" est une farine lactée, maltée et vitaminée inventée et fabriquée par la pharmacie Latour de Terrasson.
Cette pharmacie se trouve à l'angle du Pont Neuf anciennement la pharmacie Laroche au début du XX°siècle, puis Mengus et enfin Latour à partir des années 30.
La bruzarine obtient la médaille d'or de l'exposition internationale de Paris en 1937. Sa fabrication a commencé vers 1934. Mr. et Mme. Georges Latour sont contactés par de nombreuses organisations françaises et internationales portant secours aux internés de camps. Cette farine pouvant apporter un complément alimentaire aux prisonniers nourris de carottes et de rutabagas.
Bruzarine
Préparation : délayer la quantité de Bruzarine indiquée avec un peu d'eau froide pour éviter les grumeaux. Ajouter ensuite la quantité d'eau ou de lait nécessaire à un repas, mettre à chauffer en ayant soin de remuer constamment, faire bouillir quelques minutes.
composition : La bruzarine est composée de farine de froment extraite des meilleurs blés, dont elle contient le germe, une partie des assises protéiques et autres éléments de pa périphérie du grain, riches en éléments minéraux et notamment en phosphates, de malt qui assure une parfaite digestibilité, de lait écrémé et desséché, de sucre en quantité normale.
La bruzarine ne contient aucun produit pharmaceutique, ni cacao dont on connait les effets néfastes.
Dans sa préparation spéciale, dérivée d'un biscuité préalable, dans les fours appropriés, bruzarine subit dans constitution, un commencement de transformation digestibles et assimilable. Des procédés de fabrication scientifiquement réglés assurent la conservation des vitamines ce qui fait de la bruzarine un aliment complet vivant.
Mode d'emploi : La bruzarine peut se préparer à l'eau, au lait frais, sec ou condensé. Suivant avis du médecin (entérite, diarrhée, etc) bruzarine peut aussi se préparer au bouillon de légumes ou de céréales.
TABLEAU D'ALIMENTATION AVEC LA BRUZARINE
âge de l'enfant | Lait, eau ou bouillon | bruzarine |
5 à 6 mois | 150 grammes | 2 cuillerées à café |
7 à 8 mois | 180 grammes | 1 cuillerée à soupe |
9 à 12 mois | 210 grammes | 2 à 3 cuillerées à soupe |
12 à 18 mois | 210 grammes | 3 à 4 cuillerées à soupe |
Ces repas seront donnés en remplacement d'une tétée ou d'un biberon au moins 2 fois par jour.
Pour les adultes qui ont besoin, sous un petit volume d'un aliment sain, nourrissant, léger de digestion facile assimilable, pour assurer sans fatigue, ni surcharge gastrique, une alimentation et suralimentation rationnelle, doivent prendre la bruzarine.
Elle convient :
- aux adolescents dont la croissance est difficile
- aux opérés et convalescents qu'elle permet de réglementer peu à peu
- aux surmenés pour lesquels bruzarien sera un précieux appoint comme soutien d'un organisme déficient
- aux femmes enceintes pour compenser dans l'organisme la déperdition des éléments minéraux résultant de leur situation
- aux vieillards dont les fonctions digestives sont affaiblies ou diminuées.
Bruzarine préparée sous forme de potage ou de bouillie ( chocolatée ou non) donnée au petit déjeuner du matin et au goûter de 4 heures apporte à ces organismes fatigués un complément de nutrition des plus salutaires.
Mettre 3 à 4 cuillerées de bruzarine par potage ou petit déjeuner et plus ou moins de liquide suivant que l'on désire boire au bol ou manger à la cuillère.
Une partie de la renommée de la Bruzarine est due au docteur Joseph Weill qui demande à la pharmacie Latour de fabriquer cette farine en grande quantité. Les premières livraisons sont faites aux camps de réfugiés de la guerre d'Espagne.
Dans son ouvrage :"le combat d'un juste" le docteur Weill parle de centaines de tonnes expédiées par train notamment dans les camps du sud de la France.
A la page 188 : " Nous pûmes amener nos amis pharmaciens Latour à Terrasson à reprendre la fabrication en gros de leur farine alimentaire "la Bruzarine" que nous expédiâmes par wagons, à l'intention des internés saturés de potirons, jaunis par le rutabaga..."
Nous retrouvons également l'envoi de ravitaillement de l'OSE (oeuvre de secours aux enfants) composé de bruzarine, dans le livre : "Souviens-toi d'Amalek" de Frederic Chimon Hammel ( chameau), témoigne sur la lutte des juifs de France de 1938 à 1944. À partir de l'été 1941 jusqu'à la fin de 1942, Chameu dirigera la ferme école de Taluyers, située près de Lyon, où il s'installera avec sa famille. "...Le docteur Joseph Weill est un des seuls à se préoccuper activement de notre sort. Bien sûr, il donnera la priorité aux camps d'internement où la situation alimentaire et sanitaire est beaucoup plus grave...Un jour le ravitaillement de l'OSE déniche un stock important de farine permettant la préparation de bouillies pour bébé. Sucrés et visiblement à base de biscottes pilées, c'est délicieux, même préparé à l'eau. La bruzarine est conditionnée en boite et tous les matins, deux ou trois cartons y passent."
L'OSE est une organisation medico-sociale d'assistance aux populations juives. Forte de 230 employés officiels (médecins, assistantes sociales, éducateurs), elle met en place, pour les réfugiés et leurs enfants, tout un service d'assistance médicale qui permet de lutter contre la sous-alimentation et les maladies comme le rachitisme et la tuberculose.
On retrouve l'OSE et les oeuvres caritatives du comités de Nimes au camps de Rivesaltes. André Salomon dans un rapport union OSE de juin à Août 1941 parle d'une cantine pour enfants : Les enfants fréquentent régulièrement la cantine et y obtiennent une nourriture qui leur est extrêmement précieuse et dont les résultats sur leur santé est claire...Les enfants ont cinq fois par semaine du riz au lait le matin et du lait l'après-midi. La répartition des entrées se fait comme suit : le secours Suisse fournit les laitages, les Quakers donnent des légumes secs, l'OSE fournit les fruits, légumes et la bruzarine ( farine sucrée).
Joseph Weill est né à Bouxwiller dans le Bas-Rhin le 3 juillet 1902 et décède le 11 mars 1988 à Montfaucon dans le Doubs. Médecin français, il jouera un rôle important dans la résistance, fils cadet d'Ernest Weill, grand rabbin de Colmar.
D'abord médecin à Strasbourg qu'il quitte en 1939 pour rejoindre le sanatorium de Clairvivre, déçu par les conditions de travail, il vint s'installer à Terrasson et se fait inscrire à la mairie comme juif. P.144 : " je me rendis à l'hôtel de ville, édifice néogothique où je fus reçu le plus civilement du monde par le secrétaire de mairie affable et simple à qui des liens d'amitiés devaient m'unir jusqu'à mon départ. Il se mettait entièrement à ma disposition. La commune s'estimait heureuse de ma venue. Mais de logement, point. Je dus descendre à l'unique hôtel de l'agglomération aux propriétaires avenants et hospitaliers. Une poussière et une saleté folkloriques régnaient partout, draps de lit défraichis et déchirés, rideaux troués et en loques, fauteuils défoncés, chaises branlantes, portes d'armoire grinçantes, ne fermant pas."
Un fois installé à Terrasson, il fait face à une épidémie de typhoïde. page 144 :" une épidémie de fièvre typhoïde, sérieuse, venait d'éclater. Un examen rapide des conditions d'approvisionnement en eau potable, assurée par la municipalité mais acceptée avec méfiance par la population, parce qu'artificielle, permit d'incriminer des puits artésiens auxquels se mélangeait le purin des écuries. Le nombre des victimes, enfants et adolescents surtout, allait grandissant. Je fis bouillir de l'eau javellisée dans les chaudrons et grandes marmites de l'hôtel et avec l'aide la mairie, des instituteurs et institutrices, je fis distribuer dans chaque ménage, par les élèves les plus âgés, l'eau en quantité jamais vues. Une campagne d'information, à grand renfort de publicité, accompagnait l'action. Je passais avec une infirmière strasbourgeoise dans les logements les plus délabrés, pour veiller aux conditions élémentaires d'hygiène. Peu à peu, une certaine discipline fut acceptée. L'épidémie put être stoppée en l'espace de quinze jours. "
Le docteur Weill fait vite sa place à Terrasson et essaye de lutter contre l'insalubrité, page 146 : mais, ce qui je rencontrais dans ce nouveau champs d'activité défia toute description. Sols en terre battue, murs lézardés ruisselants d'humidité, toits ébréchés, chèvres et poules encombrants les cuisines, pompes à main sur l'évier fonctionnant mal ou pas du tout, bois de lit pourris, sans draps, vitres grasses laissant filtrer une lumière incertaine. Pour cela le docteur : "chaque jour, je passais à la mairie stimuler le vieux Maire et son souriant greffier pour mettre en oeuvre certaines réalisations urgentes...Je menais à bien une tâche rude, ingrate, mais attrayante. Je m'appliquais à visiter chaque famille dans son cantonnement, régulièrement, au moins une fois par mois...2400 personnes étaient ainsi disséminées dans une dizaine de bourg et de villages...Je fis relever par mon équipe, un adjoint au service social, une assistante sociale et une infirmière de la municipalité de Strasbourg le nombre d'enfants par année d'âge, me souciant de leur scolarisation, instituais dans chaque agglomération des consultations régulières dans les écoles, des salles d'auberge ou de Mairie. Je pris en charge le centre antituberculeux fonctionnant au rez-de-chaussée du vaste hospice de vieillards de Terrasson..."
À Terrasson, il s'attaque aux logements et grâce à un ami sénateur et la collaboration de Mme Crawshey (dirigeante de l'association des femmes anglo-américaine amies de la France, à une lutte systématique contre les taudis), un camion-atelier sera dépêché avec deux artisan pour effectuer des réparations d'urgence : ...avec leur aide, plus d'une cinquantaine d'écuries, de granges, de masures purent être transformées en logis décents ; une centaine subit des réparations urgentes, sanitaires y comprises...."
Il fonde à Périgueux avec Lucien Cromback et le grand rabbin René Hirschter "l'oeuvre d'aide sociale israélite auprès des populations repliées d'Alsace Lorraine". C'est également avec la collaboration de Cromback qu'il organise à Terrasson page 147 : " j'organisais des cours d'apprentissage artisanal ; j'installais un petit hôpital rural dans une maison de trois étages, mise à la disposition par la municipalité de la commune, géré par des religieuses de la Toussaint, elles-mêmes repliées, avec en annexe, un petit centre d'aide urgente et une consultation sociale".
En cette période trouble, Terrasson doit beaucoup à cet homme qui se dévoue pour la population Page 148 : " Le maire surchargé m'adressa, de plus en plus, les visites à domicile, à Terrasson et à ses environs. Je fus reçu partout avec grande courtoisie".
De part sa fonction de médecin, il sera très proche des pharmaciens et plus particulièrement du couple Latour page 150 : " des relations amicales s'établirent avec les pharmaciens. L'un d'eux, George Latour et son épouse, s'étaient adaptés rapidement à ma manière de prescrire...il me raconta plus tard (Latour) que les médecins du cru venaient souvent, tard dans la soirée copier mes ordonnances"
En décembre 1939, il prend les fonctions de chef de bureau d'hygiène à la préfecture d'Angoulême et de commissaire des populations évacuées de la Moselle en Charente. Le 15 mai 1940, il est promu sous lieutenant du service de santé de Dôle (Jura). Il travaille également pour l'oeuvre de secours aux enfants (SOE) comme directeur médical, il s'occupe afin d'éviter leur arrestation de placer les enfants des orphelinats dans des familles à la campagne.
Libéré de ses fonctions, il regagne Terrasson mais ne peut exercer son activité suite aux lois anti-juives de Vichy. Il donne malgré cela des consultations gratuites mais en sera interdit suite à des plaintes d'autres médecins (pendant cette période, il y a trois médecins à Terrasson : Mr Puyaubert le Maire, Mr Daux et Mr Cheynier) Il pratique son activité sous couvert de " l'oeuvre de protection sanitaire des populations " avec son frère Elie et une équipe de médecins Alsaciens basés à Terrasson dont les docteurs Henri Nerson et Gaston Revel.
Mr. et Mme Weill durent quitter Terrasson in-extremis en 1943 pour se réfugier à Genèves en Suisse.
Son épouse Mme Weill aide les réfugiés d'Europe en grande difficulté et c'est probablement grâce à son intervention qu'un certain Wladimir Fridman travaillera à la pharmacie Latour à la fabrication de la bruzarine.
Wladimir Issakov Fridman dit Volodia est né à Tiflis actuellement Thilissi capitale de la Georgie.
Il connait déjà Terrasson pour y être venu passer des vacances avec son épouse et sa belle famille en 1939 à Gaubert.
Lui et son épouse Louise dite Lisa de confession juive sont réfugiés à Terrasson. On trouve des attestations sociales à son nom à la pharmacie Latour à partir du 4° trimestre 1941, la pharmacie y emploie 6 salariés.
Ils logent dans une maison de la Vergne et son épouse "Lisa" travaille à l'hôtel des messageries. la plupart des membres de la famille de son épouse est restée à Paris, ils seront déportés et périront à Auschwitz.
Du coté de la pharmacie Latour, après pratiquement 10 ans de production, madame Latour annonce à Wladimir l'arrêt de la fabrication de la bruzarine pour le 30 septembre 1944 suite aux évènements tragiques.
L'auteur de Lola de Terrasson, Alexandre Briano est marié à Solange, la fameuse petite Lola du livre.
Lola de son prénom donc Solange est née en novembre 1938 et décède en 2015, c'est à la suite de cela que son mari A. Briano ouvre une vieille manette et y découvre les archives de la famille.
Solange est la fille de Wladimir Fridmann originaire de Georgie et de Louise Zelinski originaire d'Ukraine.
Wladimir dit Volodia est mobilisé en 1939, son épouse et la petite Lisa reste à Terrasson. Il sera démobilisé le 9 aout 1940 et s'installe avec son épouse à Terrasson dans une maison place de la Vergne. Leur logement parisien est réquisitionné. Lisa travaillera à l'hôtel des messageries tout proche de leur domicile.
Volodia, travaille à la pharmacie Latour à partir du 4° trimestre 1941. Cette entreprise emploie 6 salariés et comme dans l'ouvrage du docteur Weill, il est cité dans Lola de Terrasson à la page 52 : " Les propriétaires de la pharmacie, Monsieur et Madame latour furent contactés par des organisations françaises et internationales qui portaient secours à tous les internés dans les camps. Qu'ils soient politiques, notamment les républicains espagnols, ou considérés comme juifs, arrivés de Pologne et d'Allemagne. Sachant que cette farine pouvait apporter un complément alimentaire à tous ces emprisonnés, nourris de carottes et de rutabagas, des humanitaires dont le docteur Joseph Weill, demandèrent à cette petit firme de fabriquer en grande quantité cette farine lactée". On sait que les premières livraisons furent faites aux camps de réfugiés de la guerre civile espagnole.
Le 10 juin 1944, Volodia sera comme une partie de la population regroupé sur la place de la bascule ( place des martyrs). Il sera controlé par le capitaine de l'armée Allemande, page 117 : Monsieur, vous êtes né à Tiflis, en Russie. Donc vous êtes doublement notre ennemie puisque, premièrement vous êtes juif, comme cela est écrit à l'encre rouge sur votre carte d'identité et deuxièmement vous êtes natif et originaire de Russie !
JA ! JA ! Lui répond Volodia en tremblotant et en allemand. À sa grande surprise le capitaine lui parla en russe, lui demandants, comme lui, il avait participé aux deux guerres et où il avait guerroyé. Sans doute satisfait des réponses, il lui témoigna sa solidarité d'ancien soldat en lui rendant sa carte d'identité en l'appelant "Kollege" !